Loi Avia : censure, police et algorithmes

01-06-2020

Comme toujours, l’État ne manque pas de ressources et fait preuve d’une inventivité certaine pour imposer de nouvelles formes de censure. Ici, à travers la loi Avia, il s’agit de faire d’une pierre deux coups. L’opposition légitime à l’expression de discriminations tend à s’élargir à tout contenu vus comme séditieux voire "terroriste" sur Internet.

La loi Avia dispose donc que tout contenu signalé, par le public ou par la police, soit effacé par les plate-formes numériques de type réseaux sociaux, partages de vidéo, chat, mais également tous les sites Web, sous peine d’être bloqués. Onze catégories de contenus sont visées, dont une se rapportant au « terrorisme », amendement de dernière minute ajouté en janvier par le gouvernement au projet de loi initial, et à cette occasion, le délai de 24 heures pour censurer a été ramené à 1 heure. 

Nous pouvons rire de ces délais complètement farfelus et impossible à tenir, mais le but est tout autre : que soit mis en place des algorithmes pour supprimer automatiquement les mots impurs et suspendre les comptes des utilisateurs qu’ils auront repérés. La censure confiée aux mathématiques ... Nous y sommes !
Par ailleurs, cette loi donne les pleins pouvoirs de censure à la police, sans contrôle préalable d’un juge. Si, en tant qu’anarchistes, nous ne sommes pas favorables à l’expression d’une justice étatique et bourgeoise, force est de constater que la loi Avia marque ici un recul notable dans les libertés publiques et constitue une atteinte à la liberté d’expression. En d’autres termes, il s’agit de légaliser ce que la police faisait déjà et d’amplifier la censure de toute critique du gouvernement, de l’État, de la police, du capitalisme, sous couvert de "terrorisme" ou de sédition.

Il est donc laissé à l’appréciation des fournisseurs de contenus de fixer des règles arbitraires de censure. La privatisation de la police du langage franchit là un pas sans précédent.
Elle donne un cadre légal à ce que faisaient déjà les GAFAM, c’est-à-dire la suppression, sous couvert de haine, de tout contenu contestataire. Cela sera dédoublé par le fait que dorénavant la police aura un pouvoir immense sur les contenus.

Cette loi rejoindra l’arsenal des lois antiterroristes qui, tôt ou tard, sont utilisées pour museler l’opposition politique et les mouvements sociaux.

Nous, anarchistes, avons le souvenir des lois scélérates qui, pour interdire notre liberté d’expression, fichaient, arrêtaient, mettaient en prison celles et ceux qui osaient s’opposer à l’État ou proposer un autre mode d’organisation de la société. Elles visaient également à interdire toute expression publique des idées anarchistes.

Ces lois, comme celle qui nous intéresse aujourd’hui, n’ont jamais pour but la protection des plus faibles, mais bien le renforcement des plus puissants par la mise sous silence des voix contestataires. D’ailleurs, dans le monde, ce type de loi permettent d’enfermer des personnes anarchistes (ou non) au nom de l’atteinte à l’État et à son intégrité. Nous craignons que cette nouvelle loi ne soit que le premier pas vers une telle dérive en France.

La censure n’est jamais une solution : elle est toujours un moyen d’empêcher le débat, de briser l’affrontement politique et de garantir aux tenants du pouvoir étatique une tranquillité d’esprit par le contrôle de la parole et de nos pensées.

Il n’est pas surprenant que les algorithmes des fournisseurs de réseaux sociaux, déjà mis à jour avant l’application de la loi, aient visé les militants homosexuel.le.s et queer qui se réapproprient politiquement les insultes pour mieux les retourner. Ainsi, un compte pouvait se retrouver suspendu pour une phrase comme "PD et fiers de l’être". Nous ne pouvons que nous effrayer de vers quel monde veulent nous amener les instigateurs de cette loi de censure.

Le combat politique contre les haines ne peut pas se faire par l’aseptisation du langage à coup de censure, mais par un combat politique pied à pied avec les positions de haine exprimées. Le contrôle de la langue est un outil de rejet et de coercition dangereux et malsain, comme a su le démontrer Orwell dans ses différents romans et essais, mais au delà de ça, nous savons que l’adaptation des expressions n’en diminue pas la haine sous-jacente.

Encore une fois, nous nous opposerons par tous les moyens à cette loi inique et liberticide, qui permet à la police de censurer à des fins politiques. Nous serons de toutes les initiatives pour casser les carcans du langage qu’elle essaie de nous imposer.



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